Réflexions sur le rap conscient

Si on demandait à Booba..

Le rap conscient ou l'intellectualisation du rap est un secteur rapologique défendu bec et ongles par les puristes. Cependant qu'en est il vraiment lorsque l'on y réfléchit avec un œil critique ?

Je vais essayer de d'approfondir ici les réflexions suivantes : Le rap est-il un support adapté à la réflexion ? Puis en quoi le rap conscient est un business au même titre que les autres formes d'écriture.

Il est récurrent dans le rap d'entendre des vérités, des prises de positions intéressantes. Mais pour la plupart la façon d'écrire conforte le processus psychologique concernant la réception d'information : lorsque l'auditeur reçoit l'information, il aura tendance à filtrer celle-ci de manière à ne garder que la conclusion et non la réflexion. C'est une façon assez mauvaise de se construire une opinion puisqu'elle ne laisse pas de place au recul critique. Ce processus se retrouve dans le discours de beaucoup de personnalités politique, de médias, de créateur de contenu quel qu’il soit. Il est important, lorsque l'on écoute ou que l'on lit quelqu'un de disposer de sa réflexion puisque celle-ci se construit également en fonction des expériences personnelles, de la connaissance de l'auteur ou de ses potentiels partis pris.


Dans un premier temps essayons de définir le rap conscient. En recherchant sur Wikipédia le site nous redirige sur la page du rap politique avec la définition suivante :

Le rap politique (ou rap conscient) est un style de rap se caractérisant par la dimension politique de ses paroles et ses thématiques sociétales, bien qu'il ne s'agisse en aucun cas nécessairement de musique partisane, mais plutôt de l'expression d'une parole, d'un engagement et d'une pensée individuelle. Il s'agit d'une pratique consciente, politisée et engagée, volonté d'exprimer une vision du monde par le romantisme du rap, qui souligne plus particulièrement les inégalités, et qui cherche à porter la parole des plus faibles dans la société.

Je trouve la définition assez juste pour peu qu'on s'y tienne (cependant j'ai trouvé quelques erreurs sur le reste de la page, comme sur MC Solaar par ex.)

L'idée de l'engagement personnel ou pensée individuelle est intéressante puisqu'elle nous ramène à la pertinence même de la pensée de l'artiste. Si la volonté du rappeur est de fournir une musique consciente le résultat ne le sera pas forcément, il sera relatif au connaissance de celui qui écrit le texte ainsi qu'à sa vision des choses. Le plus souvent il ne s'agira donc que de conclusions personnelles et non de l'entière réflexion, même si celle-ci est intrinsèque à l'idée : on peut souvent retracer la réflexion dans une phase :

Youssoupha, espérance de vie

"Quand vient la mort, on t'enterre sans tes milliards

Est-ce que t'as déjà vu un coffre-fort à l'arrière d'un corbillard ?"

(idée redondante dans le rap, pour moi mieux exprimé dans Le coffre fort ne suivra pas le corbillard de La Rumeur)

On peut y comprendre ceci : pourquoi passer sa vie à courir après l'argent si l'on n'emporte rien lors du jugement dernier, ou encore que prendre des risques juste pour de l'argent ne vaut pas le coup . Faisons abstraction de cette dernière idée qui concerne assurément une infime partie de son public (je doute qu'il y ai beaucoup de personnes issus de la grande criminalité dans le public de Youssoupha).
Pour répondre à sa phase on peut penser, par exemple, qu'accumuler de grosses sommes d'argent de son vivant est un bon moyen d'assurer une bonne qualité de vie à sa descendance et permettre à sa lignée de perdurer convenablement, agir pour les siens en résumé.

Je ne reproche pas à Youssoupha de ne pas avoir dit ceci, s'il l'avait fait je pense que la construction de son texte aurait été plus compliqué et peut-être moins efficace (Il n'est jamais bon de se contredire volontairement dans un texte de rap, pourtant c'est dans le processus de réflexion). Je m'en sers seulement pour illustrer pourquoi le rap n'est pas le support de réflexion le plus approprié pour de grandes idées mais également relativement efficaces pour les idées communes.

Si certaines phases sont justes, cela ne crédibilise le reste du texte qu'aux yeux du fanboy. Il serait selon moi irrespectueux de juger un artiste à une simple phase. La réputation, l'image de l'artiste ne s'imprègne pas dans ses textes automatiquement car si le créateur est intelligent la création ne l'est pas forcément, malheureusement c'est une manière de penser plutôt répandues que de croire que la seul image du créateur donne une consistance à ce qu'il produit.

Il est plus facile d'écrire du rap conscient que du rap divertissant, dans le sens où le premier peut s'écrire rapidement avec seulement quelques idées démagogiques tandis que le second nécessite une certaine créativité.

Voilà donc la réflexion que j'ai sur le rap conscient, il se dit porter des idées nobles et positives mais le produit finale relève selon moi de la vulgarisation des sujets traités. Il se peut cependant que ces idées incitent à poursuivre la réflexion et développer son propre cheminement de pensée mais je ne suis pas certain que ce soit systématique chez les auditeurs de rap, et puis la question de la pertinence des idées peut se poser.

Kery James, Vent d'état

"Commerce de blasphème et de la provocation

Mais quand tout le monde attaque les mêmes : où est donc la subversion ?"

Kery fait référence ici aux nombreuses tribunes concernant les polémiques liés au culte musulmans, à travers notamment, on le devine, la caricature de Charlie Hebdo, journal subversif dans le sens commun.

Mais en reprenant la notion de commerce de la provocation et la phase suivante on pourrait poser la question suivante à Kery : Si rappeurs et divers médias attaquent la vie politique et l'état français, où est la subversion ?
La phase de Kery est selon moi trop légère puisque l'on peut retourner sa phase contre lui et le contredire : Kery James se présente comme un artiste subversif, attaque souvent les institutions dans ses textes. Or Beaucoup d'autres médias s'acharnent sur les institutions : c'est le game du journalisme politique. Dans la mesure ou Kery et les grands médias attaque le même, peut-il être la cible de sa propre phase ?

Communément musique de la subversion, le rap permettrait de s'exprimer mais à quoi bon crier dans une pièce vide : aujourd'hui encore personne n'écoute vraiment ce que disent les rappeurs, et pour cause, ce n'est souvent autres choses que de la démagogie au service d'un ligne commercial. J'emploie le terme commercial parce qu'à partir du moment où tu vends tu fais du commerce, quelque soit le sens de ton propos. Le rap conscient est, au même titre que le rap divertissant, un secteur commercial.

De plus, le public de rap est souvent familier avec les idées communes diffusées : le racisme c'est nul, la police est méchante comme le président et les ministres, la prison c'est pas cool, etc...
C'est pourquoi j'ai l'idée que le rap conscient pourrait s'illustrer comme ceci :



Par cette illustration de minable qualité dont j'ai un peu honte je souhaite illustrer l'idée que le rap conscient tourne souvent en rond autour des textes et des idées.
Fort heureusement ce n'est pas systématique à tout les rappeurs dit "conscient", mais un gars comme Rockin Squat est coincé dans son délire, et il y a emporté une partie de son public. Ce public est intéressant à lire sur les réseaux sociaux parce qu'il n'accorde désormais aucun crédit au rappeur qui ne dénonce pas les illuminatis (je résume mais c'est à peu près ça).
J'ai choisis Médine parce que depuis 2004 le mec à la même thématique, et répète souvent les mêmes histoires.
Il a certes un talent dans l'écriture et le flow, mais... ça tourne en rond, le summum étant le morceau "Blokk identitaire", quel chef d'oeuvre de bien-pensance !

"Si ça marche, on continue" On pourrait en arriver à penser ceci de la musique de Médine. Le commerce de la subversion est chose courante mais se révèle par ses contradictions. Alors que je n'ai pas encore fini d'écrire cet article Médine m'offre une pièce de choix à commenter :

"En 2014 on entarte plus, on Quenelise. Au dessus du sky c'est le sun " #endirectdeSkyrock #antisysteme#premiersurlerap 

C'est magnifique, la photo est d'un certain "Rien Nadir", et pourtant..
Deux lectures sont possibles pour cette photo :
Médine ferait une quenelle (bien entendu geste antisystème comme précisé par précaution dans la légende de la photo) à l'attention de Skyrock et de Laurent Bounneau que l'on peux apercevoir derrière.
Deuxième lecture possible : Médine et Skyrock sont des entités antisystème qui font une quenelle au système.

Dans les deux cas c'est ridicule, dans le sens ou Médine ne peut pas faire ce geste envers Skyrock et ensuite aller faire sa promo dans un planète rap. En ce qui concerne la deuxième lecture c'est tout aussi ridicule car les vrais savent que Skyrock c'est un média coopté par le "système".

Pour rappel :

Médine, à propos de Skyrock (2010)

Médine, à propos de Skyrock (2013)

On en revient donc au commerce de la subversion puisqu'on pourrait deviner que Médine souhaitait seulement surfer sur la polémique Dieudonné comme beaucoup d'autres. De plus sûrement a t'il conscience que son public sera satisfait par cette photo et en le faisant il conforterai sa position de rappeur subversif-conscient dans la tête de ses fans. De quoi enrichir mon hypothèse du rap conscient comme outil commercial.

Je ne mélange pas tout les rappeurs et pour moi "conscient" n'est qu'une appellation, souvent ceux qui se déclare conscient le sont le moins. Il n'y a pas de rappeurs conscient, je pense qu'il n'y a que des bons ou mauvais textes.


Du son et des nouvelles, c'est ici :